Il y a celles et ceux qui ont balancé leur photo de profil Facebook
dans les heures qui ont suivi le lancement du logo et des 3 mots.
Comme une course à l’identification, tout le réseau social
était arrosé. Les badges ont très vite fait leur apparition à la TV et dans les
rédactions des magazines sans pour autant que l’on sache comment s’était passé
le business de ces objets promotionnels.
Puis les abribus, les bagnoles, les vitrines. La RATP, elle
n’a pas vraiment eu le temps de réagir avec ses 4x3 ( ça doit valoir des ronds
les 4x3 !) En tout cas je n'ai rien vu passer vers Saint Lazare, le long de
la ligne 3 menant au Père Lachaise.
Qui avait fabriqué les affiches des abribus, les badges de
nos présentateurs TV, les Sweats et les T-Shirts, à quel prix ? Et où ?
Et surtout est ce que cela avait été distribué gratuitement,
la poste avait-elle offert la livraison ?
Autant de questions qui soulevaient certaines polémiques
supplémentaires. Rien que le nom de domaine « jesuischarlie.com » était
déjà pris d’assaut.
Et puis après cette mémorable manifestation du 11 janvier,
ces élans patriotiques et les premières annonces des obsèques -et sans parfum manifeste d'un quelconque retour d’attentat ou d’une actualité susceptible de
nous faire penser que ça allait encore péter dans un endroit de la capitale- la
vie a recommencé, gentiment, et sûrement.
La belle Ville de Cannes avait retrouvé son blason bleu blanc
rouge à l'intérieur du petit centimètre carré et bon nombre des visages de mes amis et contacts étaient réapparus. Ce qui je dois vous l’avouer
m’arrangeait un peu car je commençais à m’emmêler les pédales dans mon fil
d’actu vu que tout le monde avait la même gueule.
Des ciels bleus et des fleurs, des lendemains qui chantent,
un monde complètement Kawaï où l’on préférait certainement appréhender les
prochains jours avec suffisamment d’insouciance, vu le flot de merde que l’on
venait d’avaler ces dernières heures. Et la merde tout le monde l’imaginait et en
a même la certitude désormais : non
seulement c’était pas bon à avaler mais en plus, ce ne fut pas vraiment simple à digérer.
Comme les comportements humains devenaient fascinants en de pareilles circonstances !
Ils avaient voulu marquer leur solidarité. Certains un peu plus
que d’autres.
Puis quand le logo devint un peu trop lourd à regarder,
comme un gâteau dont on aurait repris quatre fois au dessert, le besoin
d’alléger le visuel reprit le dessus.
On a été Charlie mais là ça va bien. On redevient nous même.
C’était presque une volonté de se démarquer de la foule qui
commençait à vouloir penser à notre place. Car oui c’était bien beau d’être
Charlie, mais est ce que je partageais les idées du voisin FN si lui il est
Charlie aussi ? (Non, tous les voisins FN ne pensent pas forcément comme
Jean-Marie et certains peuvent être Charlie ) Oui mais sinon Nico il est Charlie
aussi puisqu'il défile et je peux pas blairer Nico (Manu, Fanfan, Bébert, Benji et les
autres ! Cochez la bonne réponse).
Non ! Non ! Non ! Cela n'allait pas ces histoires. Je
voulais être moi avant d’être une idée mais je voulais aussi partager cette idée
alors comment allais-je devoir procéder pour rester moi tout en ayant encore la volonté de
partager cette idée ?
En même temps c'était une gerbe intergalactique que de vouloir entasser dans nos neurones tout ce qu’il s’était passé, Des photos d’un couloir qui menait à une salle de
rédaction où l’on voyait des traces de pas ensanglantés dessus. La
vidéo de ce gardien de la paix qui se fait exécuter. Ces gens courir
dans tous les sens en direct, alors que la nuit tombait derrière mes vitres, Je
savais qu’à quelques mètres de chez moi ou même quelques kilomètres, je
partageais le temps et le ciel avec 16 personnes qui venaient de se faire
retenir en otage durant des heures et que l’on était en train de délivrer, là
sous mes yeux. Des flics se faisaient canarder, on distinguait un homme à
terre. Les images en boucle, les journalistes à vomir, la course à l’audience.
Sortir du logo ça devait faire un bien fou.
Reprendre le pas sur son quotidien, se dire que c'était fini
tout ça et qu’«il ne peut plus rien nous arriver d’affreux maintenant» !
(Attention si vous ne comprenez pas l’allusion cachée dans cette phrase, c’est
que vous êtes vraiment NULS).
Quelques uns n’avaient pas changé de visage mais leur
investissement pour des causes, qu’elles soient infimes ou extrêmement
préoccupantes, n’avait jamais faibli. Avant, après, ils étaient, sont et seront réguliers
et de tous les fronts.
D'autres s'étaient enfin trouvés une idéologie, une lumière à
suivre. Allait - elle les éclairer longtemps afin qu’ils puissent nous offrir un juste milieu entre profondeur et vacuité de leur existence.
Certains étaient restés silencieux. Esprits éclairés, peureux
ou lucides, échappés du monde de l’instant qui donne le tournis. Ils n’avaient pas
souhaité s’intégrer ne serait-ce que quelques secondes à la communauté qui
criait sa peur et sa révolte. Ni logo ni présence. On ne les reverrait sans doute jamais réapparaître !
La bonne année a été pourrie dans le lot, la galette des
rois par la même occase, les statuts des soldes nous ont
été épargnés.
Les visages revenus dans la lucarne et les 3 mots disparus,
plusieurs continueront avec la même ferveur de se battre pour cette cause qui
vient de leur éclater à la gueule ( oui les flics sont gentils et peuvent être
utiles, non mon voisin musulman n’est pas un terroriste, et oui je peux aider
par des tas de solution, j’ai deux bras, deux jambes et un cerveau, faut juste que je bouge mon cul dans une
association au lieu de me repasser des séries en téléchargement quand je
m’emmerde à la maison )
Enfin il restait tous les autres.
Celles et ceux qui avaient vécu ces journées comme une poussée
d’adrénaline, et qui retournèrent à leur vie insignifiante, Ces blasés, regrettant presque la solidarité de ces derniers jours qui rendait leurs heures moins solitaires. Les égoïstes qui n'avaient pas souhaité prolonger la fête plus longtemps afin de ne pas perturber une vie rangée, magnifique, et
sans heurts.
Parce que ça va
bien un moment mais bon …
Puisse l’avenir donner raison à leur hypocrisie. Que plus rien n'agite le monde comme ces journées. Que le quotidien soit morne et ennuyeux et que chacun se charge de lui donner les couleurs qui lui sont propres. N'importe quelle couleur, sauf le noir.