Je n’ai jamais été très copine
avec la religion.
Baptisée catholique sans que l’on
me demande mon avis, enfant, je répétais mon «Notre Père» de nombreuses
fois avant de m’endormir en pensant à ma Mémé Lilou qui vouait une admiration
et un culte sans borne à Sainte Thérèse de Lisieux et Saint Antoine de Padoue (bien
pratique celui là quand on y pense …)
Mémé Lilou, c’était la bonté et
l’amour, une grand-mère comme il n’en a jamais existé, comme il n’en existera
plus (encore que, Mémé Domi -alias Mamounette- est en train de reprendre le
flambeau de façon assez significative avec ses cinq putois).
J’adorais Mémé, je me devais de
réciter le Notre Père. Et basta.
J’ai donc grandi, poussée vers l'adolescence
dans ce catholicisme automatique sans grande conviction, mais en gardant tout
de même un œil assez attentif sur une partie de ma famille issue des juifs
d’Afrique du Nord. Tout me semblait plus naturel de ce côté-là. Ma mère n’ayant
pas hérité de cette religion de manière traditionnelle (les origines juives
provenaient de son père alors que la religion se transmet théoriquement par la
mère), elle avait néanmoins récupéré de
sa grand-mère paternelle, toutes les traditions juives possibles et
inimaginables.
Des gâteaux cuisinés le jour de
mes premières règles au verre d’eau lancé derrière moi le jour de mon départ
pour les épreuves du baccalauréat, tout était normal. C’est donc d’une façon
tout aussi naturelle que je me suis mise à porter une croix de David dès mon
adolescence. Juive je serai. Non pas de religion, car la religion ne
m’intéressait pas. Mais de tradition, de cœur, d’origines.
Cette croix n’a jamais été un
souci dans mes relations. Sans doute parce que j’ai eu cette chance ou cette
intelligence de savoir m’entourer de personnes dont l’esprit ne s’arrêtait pas
à un simple signe communautaire.
Cette croix, je l’ai portée avec fierté,
car fière de ces origines, de cette culture qui fait partie intégrante de moi.
De ces expressions avec lesquelles j’ai grandi, de cette richesse culinaire
incroyable, de ma grande gueule, de mon tempérament qui ne sait pas passer
inaperçu, où que j’aille, quoi que je fasse.
Je l'ai même oubliée, jusqu'à ce jour là.
Un jeudi veille de 15 août et de
départ en vacances. Une escapade dans un centre commercial de Banlieue pour
tester une nouvelle enseigne de vêtements qui ne compte que 6 magasins en France,
dont un à 10 minutes de chez moi ! Une banlieue qui se positionne en plein
«renouveau». Ici a poussé un centre
commercial qui ne facture même pas son parking, des locaux industriels et des
cités HLM qui se donneraient presque des airs de résidence secondaire. Du vert,
de l’espace, à 15 minutes à peine du périphérique, les loyers sont forcément
bien moins chers qu’à Paris. On essaye par tous les moyens de rendre cette
ville attractive. Oui mais bon … Villeneuve la Garenne, ce n’est pas Levallois.
Après ma séance de shopping, je
décidais de faire un dernier tour chez Mark & Spencer. Initialement au rayon
épicerie, je passais quand même par les fringues et jetais mon dévolu sur un
pantalon noir. Magasin désert, caisses vides, une aubaine !
Un jeune homme d'une trentaine d'années me fit signe d’avancer
pour qu’il m’encaisse, et commençait à engager la conversation.
-
Je vois que vous êtes pour la paix ?
(Le jeune homme
est observateur : pendentif en nacre autour de mon cou Love and Peace et tatouage
du même signe sur mon poignet gauche)
Je lui répondis oui, de façon
philosophe en lui expliquant que la paix était quand même une vaste utopie et ne
se limitait pas uniquement à la paix dans le monde mais aussi à sa propre paix
intérieure.
Il acquiesça en souriant et continua sa manipulation d'encaissement puis trouva bon de rajouter :
- JE VOIS AUSSI QUE VOUS ETES JUIVE !?
(et là je ne me voyais pas
commencer à me lancer dans une explication religion Vs tradition, mon grand
père, ma mémé, ma mère et mon arrière grand-mère Rachel)
- OUI VOUS PORTEZ UNE ETOILE DE DAVID !
- OUI VOUS PORTEZ UNE ETOILE DE DAVID !
- Oui !
- Ha mais c'est terrible ce qu'il se passe en ce moment !
- ...
- Non mais vous vous rendez compte ? Les Israéliens ? Ce qu'ils font subir aux Palestiniens ? C'est mal, c'est très mal ! Ils sont en train de faire un vrai GENOCIDE !
Le jeune homme ne faisait preuve d'aucune
agressivité, ce qui rendait la situation encore plus surréaliste. J’étais venue
dépenser mon argent dans un magasin et je me retrouvais au cœur d’une
discussion sur le conflit Israélo/Palestinien, initié par un vendeur ou chef de
je ne sais quel rayon sous prétexte d’un pendentif accroché à mon cou.
En un dixième de seconde, je me demandais quelle attitude adopter. Faire appeler son supérieur pour lui
exposer la situation ? Ou noyer le poisson et déguerpir, vite.
-
Vous savez, des bons et des mauvais, il y en a dans
toutes les races.
Phrase bateau
par excellence. Je n’avais rien d’autre à lui répondre, mais je sentais bien que le jeune homme n'en serait pas resté là si il avait pu développer le sujet. C'était vraisemblablement plus fort que lui, ce type n'avait pas pu s'empêcher de se positionner sur cette actualité. la vue d'une étoile de David avait fait mouche !
J’aurai pu lui
dire que sa position de vendeur était de se contenter de vendre et ne pas
interpeller une cliente sur un signe communautaire distinctif en lui signifiant
les actes jugés selon lui répréhensifs de ladite communauté.
J’aurai pu lui
dire que le conflit Israélo/Palestinien, je ne le vivais pas au quotidien, et lui non plus et que nous n'étions pas à même de juger une situation qui nous était complètement
inconnue et renvoyée par le prisme des médias et des gouvernements.
J’aurai pu lui
dire que je ne me serai jamais permis d’interpeller une vendeuse sous prétexte
qu’elle portait main de Fatma autour du cou, en lui disant « Hé mademoiselle, je vois que vous êtes musulmane ! Vous vous rendez compte de
ce que fait l’Islam dans le monde ? Mohamed Mehrad ? On en parle ? »
Je suis simplement rentrée avec une envie de
vomir. Un sentiment de malaise intense.
A mi chemin entre la révolte et l’incompréhension.
L’idée de devoir désormais raser
les murs si je voulais la paix.
L’idée de me dire que si lui,
vendeur de base d’un magasin, m’avait signifié tout cela avec un indéfectible
sourire, je pouvais aussi tomber sur une bande de joyeux lurons beaucoup moins
diplomates, au détour d’un couloir de métro ou d’une rue, qui pourraient avoir
envie de m’expliquer plus amplement leur propre conception du génocide et du conflit Israélo/Palestinien.
L’histoire est simple, et
véridique du début à la fin. Je n’ai rien inventé.
Je l’ai signalée au service
clientèle qui l’a soit disant transmise à la direction du magasin concerné. J’attends
désormais une réponse, qui n’arrivera sans doute jamais.
Quelques jours auparavant, dans
une boulangerie cannoise, en passant près d’un groupe de personnes qui se
tenait à l’entrée, j’ai entendu « Shalom ! Shalom ! ». Quelques secondes plus tard, s’est échappé un « elle
dit pas Shalom cette connasse ? ».
Je ne saurai dire si cela m’était
destiné. Je n’ai pas dévisagé toutes les personnes présentes dans la
boulangerie et je me suis dépêchée de payer mon croissant, et de partir. Vite.
Je suis rentrée chez moi ce jeudi
14 août 2014, il devait être 14h00, et j’ai enlevé mon étoile de David.
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